« Je ne peux plus respirer » : le cri qui a relancé un mouvement

AMNESTY INTERNATIONAL

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30 juin 2020

« Je ne peux plus respirer » : le cri qui a relancé un mouvement

Jasmeet Sidhu, responsable de la recherche à Amnesty International États-Unis

« Je ne peux plus respirer »

Ces mots prononcés par George Floyd, aux États-Unis, alors qu’un policier était en train de le tuer en appuyant son genou sur son cou, sont de nouveau devenus le cri de ralliement pour la justice raciale et pour une réforme de la police aux États-Unis et dans le reste du monde. La dernière fois que ces mots ont provoqué un soulèvement, c’est quand ils ont été criés par Eric Garner alors que des policiers étaient en train de le tuer, à New York, en 2014. Dans un élan de solidarité historique – qui n’avait plus été observé depuis l’époque du mouvement des droits civiques aux États-Unis – plusieurs millions de personnes appartenant à divers pans de la société sont descendues dans la rue pendant plusieurs semaines, manifestant, scandant des slogans, s’agenouillant, et réclamant un changement, pas seulement aux États-Unis mais partout dans le monde.

#BlackLivesMatter, est passé d’un simple appel à l’égalité raciale à un nouveau slogan pour la réinvention de la police, soutenu à présent par les deux tiers de la population des États-Unis. Aux États-Unis, les gens descendent massivement dans la rue pour manifester depuis plus de quatre semaines, et ce mouvement ne semble pas devoir s’épuiser de sitôt.

Étonnamment, ou plutôt sans grande surprise, les mouvements de protestation organisés aux États-Unis contre les violences policières ont été marqués par un regain de violences policières. Amnesty International a rassemblé des informations sur de nombreux cas compilées dans notre carte interactive publiée récemment, qui fait état de 125 cas où les forces de l’ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc, des projectiles d’impact, des projectiles à billes poivre, et même des vélos et des matraques contre des manifestant·e·s parmi lesquels se trouvaient de jeunes enfants, s’en prenant dans certains cas à des journalistes, à des observateurs·trices juridiques et à des professionnel·le·s de santé.

Pendant ces manifestations qui se poursuivent dans le monde entier – et malgré la répression exercée par la police aux États-Unis – des changements réels et significatifs ont été observés. Voici dix exemples de changements qui ont eu lieu aux États-Unis depuis le début des manifestations.

  1. Les policiers impliqués dans la mort de George Floyd ont été inculpés

Derek Chauvin, ancien policier de Minneapolis, dans le Minnesota, qui a appuyé son genou sur le cou de George Floyd pendant plus de huit minutes, causant ainsi la mort de ce dernier, a été arrêté, les charges retenues contre lui ont été aggravées à la suite des manifestations et il est désormais inculpé pour meurtre non prémédité, et trois autres anciens policiers impliqués dans cette affaire ont été inculpés de faits d’une moindre gravité. Il s’agit d’une avancée importante en direction du respect de l’obligation de rendre des comptes, non seulement pour George Floyd mais aussi pour toutes les autres victimes de violences policières. 

  • Les discussions sur la réduction du budget de la police ont débuté

Il a été surprenant d’apprendre que la majorité des membres du conseil municipal de Minneapolis, la ville où George Floyd a été tué, s’est engagée à démanteler le service de police de la ville et à le remplacer par un système communautaire de sécurité publique novateur. À Los Angeles, le maire a proposé de réduire le budget de la police de la ville avec réduction budgétaire pouvant atteindre 150 millions de dollars. Les maires d’autres villes comme Boston, dans le Massachusetts , Lansing, dans le Michigan, et Seattle, dans l’État de Washington, ont également annoncé qu’ils envisageaient de réduire le budget de la police.

  • Des monuments commémorant le passé raciste des États-Unis ont été retirés

À Boston, Philadelphie, Dallas, Birmingham, Washington, dans le district de Columbia, Richmond, San Francisco, et dans des dizaines d’autres villes des États-Unis, des monuments et des statues érigés à la mémoire de personnes avec un passé ou un héritage raciste ont été retirés, y compris des monuments honorant Christophe Colomb, Frank Rizzo, le capitaine Jay Brooks, Robert E. Lee, Junipero Serra, Charles Linn et Albert Pike, entre autres.

  • De nouvelles lois sur la réforme de la police sont adoptées aux niveaux local et des États

Voici une liste de certains des textes qui ont été rapidement adoptés au cours des dernières semaines :

  • Les villes de Denver, dans le Colorado, Minneapolis, dans le Minnesota, Houston et Austin, dans le Texas, Washington, dans le district de Columbia, Chicago, dans l’Illinois, et Phoenix, dans l’Arizona, ont toutes interdit l’utilisation des prises d’étranglement après la mort de George Floyd ;
  • L’Iowa, l’État de New York et le Connecticut ont adopté des lois ou pris des décrets s’appliquant sur leur territoire interdisant l’utilisation des prises d’étranglement par les forces de l’ordre ;
  • Seattle, dans l’État de Washington, a interdit l’utilisation des prises d’étranglement et des gaz lacrymogènes après que les forces de l’ordre eurent utilisé ces gaz contre des manifestants ;
  • Washington, dans le district de Columbia, a interdit, pour une durée de trois mois, l’utilisation des balles en caoutchouc et des substances chimiques irritantes contre les manifestants pacifiques ;
  • Louisville, dans le Kentucky, a interdit dans la ville les perquisitions opérées « sans frapper à la porte », par un vote à l’unanimité.
  • De nouvelles lois sur la réforme de la police et contre le racisme sont adoptées au niveau fédéral

Des projets de loi ont été présentés visant à remédier aux problèmes liés à l’immunité qualifiée pour les agents des forces de l’ordre, à l’utilisation des caméras portées sur le corps, au profilage ethnique, et sur les normes relatives à l’usage de la force, la transparence des activités de la police par l’utilisation des données, l’amélioration de la formation des policiers, et sur d’autres réformes encore. Le 25 juin 2020, la Chambre des représentants, qui est l’un des deux organes du pouvoir législatif américain, va probablement adopter le projet de réforme de la police (Justice in Policing Act), qui comporte un certain nombre de dispositions positives. Mais le texte qui sera soumis en parallèle à l’autre branche du pouvoir législatif (le Sénat), intitulé Justice Act, n’est malheureusement pas du tout satisfaisant en ce qui concerne les droits humains.

  • Les normes sur l’utilisation de la force sont modifiées et réévaluées par les services de police, et certains services prennent rapidement des mesures en cas de violences
  • Plusieurs services de police à travers les États-Unis ont réévalué et interdit l’utilisation des prises d’étranglement à la suite de la mort de George Floyd, notamment à Aurora, dans le Michigan ; Phoenix, en Arizona ; et San Francisco, en Californie, pour ne citer que ces exemples.
  • Les maires et responsables des forces de l’ordre des villes de Chicago, dans l’Illinois, Cincinnati, dans l’Ohio, Tampa, en Floride, Baltimore, dans le Maryland, Phoenix, en Arizona, et Columbia, en Caroline du Sud, se sont réunis pour créer le Groupe de travail sur la réforme de la police et pour la justice raciale.
  • Pour la première fois en 20 ans, le New Jersey, sous la direction de son procureur général, va revoir ses règles relatives à l’usage de la force pour tous les policiers ;
  • Le service de police de la ville de New York s’est engagé à démanteler sa brigade anticriminalité dont les agents sont en civil, qui pose de nombreux problèmes.
  • Deux policiers qui, à Buffalo, dans l’État de New York, sans qu’il y ait eu provocation, ont poussé violemment à terre un manifestant de 75 ans, qui a été grièvement blessé au crâne, ont été inculpés pour coups et blessures aggravés. D’autres policiers qui ont utilisé une force excessive contre des manifestants dans plusieurs autres villes ont également été inculpés d’infractions allant des coups et blessures au harcèlement.
  • Des ligues sportives reconnaissent l’impact du racisme dans leur secteur

Un renversement de situation extraordinaire, par rapport à ce qui s’est passé il y a seulement un an, s’est produit quand l’Association nationale de courses automobiles de stock-car (NASCAR) a interdit le drapeau confédéré dans toutes les courses. L’association a déclaré : « La présence du drapeau confédéré lors des événements de la NASCAR va à l’encontre de l’engagement que nous avons pris de procurer un environnement accueillant et inclusif à tous nos fans, aux concurrents et à notre secteur. »

Le commissaire de la Ligue nationale de football (NFL) a assumé ses responsabilités en ce qui concerne les erreurs commises par la NFL par le passé, évoquant le fait qu’elle n’a pas tenu compte des critiques formulées par des joueurs au sujet du racisme ni des manifestations pacifiques dénonçant les violences policières contre des Afro-Américains. La NFL s’est également engagée à donner 250 millions de dollars sur dix ans pour la lutte contre le racisme.

  • Des entreprises prennent des mesures pour combattre le racisme

Les dirigeants d’entreprises ont encore beaucoup à faire pour remédier au problème des préjugés racistes et des inégalités raciales dans le monde de l’entreprise et sur les lieux de travail, mais certains ont pris des mesures encourageantes ces dernières semaines.

  • Amazon a mis en place un moratoire sur l’utilisation par la police du produit de reconnaissance faciale de l’entreprise appelé Rekignition.
  • Johnson & Johnson s’est engagé, en ce qui concerne la question de la couleur de peau, à cesser de vendre ses crèmes pour éclaircir la peau, qui renvoient au préjugé selon lequel il est préférable d’avoir une peau claire plutôt qu’une peau foncée.
  • Une branche de PepsiCo Inc qui contrôle la marque Aunt Jemima Syrup va supprimer le nom et l’image d’Aunt Jemima, cette marque étant clairement fondée sur des préjugés racistes inacceptables. Cette entreprise prévoit également de donner 400 millions de dollars pour venir en aide à des communautés noires au cours des cinq prochaines années.
  • La célèbre entreprise de vente de café Starbucks Corp a assoupli sa politique du personnel en autorisant ses salarié·e·s à porter un tee-shirt et des pins Black Lives Matter pour afficher leur soutien à la lutte contre le racisme.
  • « Juneteenth » pourrait devenir un jour férié partout dans le pays

Le 19 juin est la date qui a été retenue aux États-Unis pour célébrer la fin de l’esclavage dans le pays, en 1865, et ce jour est appelé Juneteenth. Le corps législatif fédéral a présenté un texte faisant de Juneteenth un jour férié national. Quatre États seulement aux États-Unis n’ont pas fait de cette date un jour férié : Hawaï, le Dakota du Nord, le Dakota du Sud et le Montana. Partout aux États-Unis, des employeurs, y compris des entreprises comme Twitter, Nike, Mastercard et Vox Media, ont décidé de donner un jour de congé payé à leurs employés pour Juneteenth.

  1. Le président Donald Trump a signé le décret sur l’interdiction des prises d’étranglement

Après plusieurs semaines de manifestations et de pressions de la part des communautés concernées, le président Donald Trump a signé un décret incitant, avec des subventions fédérales, les services de police à interdire les prises d’étranglement, et demandant la création d’un registre national des agents des forces de l’ordre responsables d’un recours à une force excessive. Amnesty International ne se satisfait pas de ce décret, car elle estime que de nombreuses autres mesures sont nécessaires, mais il est encourageant de voir que les pressions exercées au niveau mondial ont forcé le gouvernement à faire quelque chose.

Bien entendu, beaucoup d’autres réformes sont nécessaires à tous les niveaux, et les militant·e·s et organisateurs·trices continuent d’agir pour un changement réel et durable. Il faut souligner qu’aux États-Unis et dans d’autres pays du monde, des personnes ont, aux côtés des dirigeant·e·s du mouvement pour les droits civiques et des organisations de défense des droits humains à travers le monde, continué de demander que les personnes noires soient traitées de la même façon que les autres et que les policiers répondent de leurs actes en cas d’agissements marqués par le racisme en ce qui concerne le maintien de l’ordre et l’utilisation de la force. Leur persévérance et l’injustice de la mort de George Floyd ont abouti à un changement social significatif, unifié le mouvement pour l’égalité des droits, et incité à militer et à agir alors que sévissait une pandémie touchant le monde entier. Ce mouvement pour la justice, la reddition de comptes et l’égalité est un marathon, et non un sprint, et nous savons que grâce à la solidarité mondiale nous triompherons.