TURQUIE. DES ALLÉGATIONS DE TORTURE DOIVENT FAIRE L’OBJET D’UNE ENQUÊTE INDÉPENDANTE

Turquie. Des allÉgations de torture doivent faire l’objet d’une enquÊte indÉpendante

Amnesty International a écrit aux autorités turques concernant des allégations crédibles selon lesquelles deux hommes, Osman Şiban et Servet Turgut, auraient été victimes d’actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements après avoir été arrêtés par des gendarmes le 11 septembre 2020 dans le district de Çatak situé dans la province orientale de Van. Selon ces graves accusations, qui doivent faire l’objet d’une enquête indépendante et impartiale dans les meilleurs délais, ces deux hommes auraient également été jetés d’un hélicoptère. Les informations contenues dans leurs dossiers médicaux, qui ont été consultés par Amnesty International, indiquent que les blessures qu’ils ont subies correspondent à celles provoquées par une chute de hauteur.

D’après l’avocat représentant Osman Şiban (âgé de 50 ans) et Servet Turgut (âgé de 55 ans), les deux hommes sont des villageois originaires de Çatak qui passent leurs étés dans ce district et qui repartent respectivement à Mersin et dans le centre de Van en hiver. Le 11 septembre, un affrontement armé a eu lieu entre les forces militaires turques et des membres de la branche armée du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans les environs de Çatak. Selon des témoignages rapportés par leur avocat, un groupe de soldats est entré dans le village pour mener des contrôles d’identité avant de repartir. En fin d’après-midi, entre 15 et 20 gendarmes sont revenus sur les lieux, après avoir arrêté Servet Turgut au motif qu’il avait « agi de façon suspecte » alors qu’il travaillait dans les champs. Ils ont demandé où se trouvait Osman Şiban qui s’est présenté à eux. Les gendarmes ont conduit les deux hommes à pied derrière une colline avant de les faire rentrer dans un hélicoptère qui stationnait dans une clairière. Un groupe de villageois les a suivis et a vu Servet Turgut et Osman Şiban se faire embarquer dans l’hélicoptère avant qu’il ne décolle.

Pendant les deux jours suivants, on ne savait pas où se trouvaient ces deux hommes. Le 13 septembre, des proches ont reçu un appel de la gendarmerie qui leur demandait le numéro de la carte d’identité de Servet Turgut tout en déclarant qu’il ne se trouvait pas dans ses locaux. Plus tard ce jour-là, les membres des deux familles ont appris que les deux hommes étaient en soins intensifs à l’hôpital régional universitaire et de recherche de Van. Le 23 septembre, Servet Turgut y était toujours dans un coma artificiel et dans un état critique.

Selon les dossiers médicaux consultés par Amnesty International, les deux hommes ont été transportés à l’hôpital après une « chute d’une hauteur » vers 21 h 30 le 11 septembre. Ils ont tous les deux subi de graves blessures : le dossier médical d’Osman Şiban évoque une possible blessure au cou (subluxation atlanto-axiale), des ecchymoses aux coudes et aux genoux et de graves hématomes aux yeux. Il est également indiqué qu’il apparaît confus avec des troubles de l’orientation. L’avocat d’Osman Şiban a déclaré à Amnesty International que bien que son client souffrait de pertes de mémoire partielles, il avait raconté à sa famille qu’il avait été frappé par les gendarmes. Le dossier médical de Servet Turgut mentionne des ecchymoses au niveau des yeux et des oreilles ainsi que des éraflures aux mains et à la cage thoracique consécutives à une « chute ».

Osman Şiban a pu quitter l’hôpital le 20 septembre. Selon son avocat, dans la matinée du 22 septembre, des dizaines de gendarmes ont débarqué chez lui pour le conduire dans un hôpital militaire où il a été testé pour le COVID-19 et où il a été établi que son état de santé ne lui permettait pas de fournir une déposition officielle auprès des autorités. Le 23 septembre, il a été emmené chez lui à Mersin dans le sud-est de la Turquie. Leur avocat a confirmé auprès d’Amnesty International qu’aucune décision de placement en détention n’avait été délivrée à l’encontre d’Osman Şiban. Toutefois les deux hommes sont l’objet d’une enquête pénale. Par ailleurs, une autre enquête pénale a été ouverte par le bureau du procureur général de Van concernant les accusations d’actes de torture ou d’autres formes de mauvais traitements dont ils auraient été victimes. Les deux enquêtes sont assujetties à une ordonnance de secret empêchant les avocats d’accéder aux dossiers relatifs à leurs clients.

Le 21 septembre, le gouvernorat de Van, qui représente le ministère de l’Intérieur au niveau provincial, a publié une déclaration qui a évoqué cette affaire dans le cadre d’une opération militaire, en affirmant que Servet Turgut se trouvait près du lieu de l’opération, et qu’il était « à l’affût et avait agi de façon suspecte ; il était tombé et s’était blessé sur des rochers en s’enfuyant, n’ayant pas respecté un ordre d’arrêt, et avait été attrapé malgré sa résistance à l’arrestation et arrêté conformément à la procédure. O. Ş. [Osman Şiban], soupçonné de complicité avec les membres de l’organisation terroriste, a été arrêté conformément à la procédure, malgré sa résistance à l’arrestation. » La déclaration du gouvernorat contredit largement la version des faits relayée par les villageois qui ont assisté aux arrestations et qui ont affirmé que les deux hommes étaient en bonne forme au moment d’embarquer dans l’hélicoptère. Elle infirme également les informations consignées dans les dossiers médicaux hospitaliers.

Amnesty International est très préoccupée par les graves allégations d’actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements ainsi que les terribles accusations selon lesquelles les deux hommes auraient été jetés de l’hélicoptère. Conformément au droit et aux normes internationaux relatifs aux droits humains, la Turquie est tenue d’interdire les actes de torture et les autres formes de mauvais traitements en toutes circonstances. Ces allégations doivent donner lieu dans les meilleurs délais à une enquête indépendante et impartiale et les personnes soupçonnées d’avoir commis les actes de torture et autres mauvais traitements présumés doivent être traduites en justice dans le cadre d’un procès équitable. Bien que les autorités pourraient légitimement limiter la divulgation de certaines informations concernant l’enquête, une application totale de l’ordonnance de secret pourrait entraver le droit des victimes présumées de torture et d’autres mauvais traitements d’accéder à la justice. Alors que l’enquête n’en est qu’à ses débuts, la déclaration publique officielle du gouvernorat de Van est particulièrement inquiétante. Amnesty International appelle donc les autorités à veiller à ce qu’Osman Şiban et Servet Turgut puissent bénéficier d’une assistance juridique efficace tout au long de l’enquête et des poursuites qui en résulteraient.

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