ARTICLE CONJOINT

AMNESTY INTERNATIONAL

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4 septembre 2021

L’avenir de l’Afrique est entre les mains des jeunes

Par Angelina Jolie et Flavia Mwangovya

L’Afrique est le continent où l’accroissement de la population jeune est le plus rapide. Soixante pour cent des Africain·e·s ont moins de 24 ans. Un continent peuplé par des jeunes est un continent qui bouillonne de potentiel. Cette jeunesse est une source de nouveaux talents et d’idées neuves.

Aisha Saleh, 16 ans, vit dans un quartier défavorisé de Lagos, au Nigeria, avec sa grand-mère ; elle a perdu sa mère à l’âge de quatre ans. En 2020, alors âgée de 15 ans, elle a lancé une campagne de lutte contre la précarité menstruelle et les tabous culturels autour des règles. Comme de nombreuses jeunes filles au Nigeria, Aisha n’avait pas les moyens d’acheter des produits d’hygiène menstruelle, et devait donc souvent manquer les cours. Elle a exhorté le gouvernement nigérian à garantir le droit à l’éducation des filles en leur fournissant gratuitement de serviettes hygiéniques. Cette démarche a entraîné une dynamique de collecte publique, et les filles de plusieurs régions du pays, y compris celles vivant dans des camps de personnes déplacées, ont ainsi reçu des produits de base.

Aisha incarne une nouvelle génération de jeunes Africain·e·s qui refusent l’injustice ; elle est la preuve vivante que les jeunes ont le pouvoir d’améliorer la société. Cependant, en l’état actuel des choses, de nombreux jeunes Africain·e·s – à l’instar des jeunes dans bien d’autres parties du monde – ne seront pas en mesure de réaliser pleinement leur potentiel, et des jeunes femmes comme Aisha se verront dépossédées des chances qu’elles méritent. D’après l’Union africaine, à moins que les immenses disparités en matière de droit à l’éducation ne soient comblées, les inégalités au sein du continent ne cesseront de se creuser.

Au Burkina Faso, par exemple, seulement 17 % des filles fréquentent l’enseignement secondaire, ce qui s’explique en partie par des taux extrêmement élevés de mariage précoce. Dans certaines régions du pays, plus de la moitié des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans. En Tanzanie, le gouvernement a décidé d’interdire aux adolescentes enceintes de poursuivre leur scolarité, ce qui les pousse dans une spirale de la pauvreté. Cette loi est actuellement contestée devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. En Afrique du Sud, l’expérience d’un enfant en matière d’éducation continue de dépendre de son lieu de vie et de sa couleur de peau. Des millions d’enfants des provinces les plus pauvres fréquentent des établissements tombant en ruine, dépourvus du matériel de base et même de toilettes dignes de ce nom.

Chaque enfant dans le monde a le droit à l’éducation, à la dignité, à la santé, à l’identité, à l’égalité et à la non-discrimination, le droit de vivre dans un lieu sûr, d’être protégé du danger, le droit à la participation (qui englobe le droit de s’exprimer et d’être entendu), à l’intégrité physique, à la protection contre la violence armée, à la justice et à la liberté, à la vie privée, à la liberté de penser, le droit de jouer, de manifester pacifiquement, et le droit au respect des droits des minorités et des peuples autochtones.

Il ne s’agit pas là de notre opinion, mais de droits universels proclamés en 1989 par la Convention relative aux droits de l’enfant, ratifiée par tous les gouvernements africains. L’année suivante, tous les pays d’Afrique ont fait un pas supplémentaire en adoptant la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, qui est venue renforcer leur engagement en faveur des droits des enfants.

Dans notre nouvel ouvrage, Know Your Rights and Claim Them, nous présentons les droits universels garantis par la Convention, et nous mettons en avant des jeunes du monde entier qui luttent pour leurs droits et ceux des autres.

Zulaikha Patel, jeune militante sud-africaine âgée de 19 ans, a dirigé une campagne de lutte contre la discrimination raciale au sein de son établissement d’enseignement secondaire. En 2016, alors âgée de 13 ans, elle a manifesté aux côtés d’autres élèves noires pour demander à la Pretoria High School for Girls de modifier son règlement raciste et sexiste, après que l’établissement leur avait demandé d’« arranger » ou de défriser chimiquement leurs cheveux et avait fait appliquer ces règles en usant d’un vocabulaire dégradant à connotation raciale. Les jeunes filles ont utilisé les réseaux sociaux pour faire connaître leur cause, et ont ainsi lancé le hashtag #StopRacismAtPretoriaGirlsHigh, qui a été repris plus de 150 000 fois. Cette campagne a mobilisé des élèves noirs de tout le pays ; elle leur a donné l’occasion de formuler leur mécontentement quant aux discriminations qu’ils subissent et a inspiré des protestations de même type dans d’autres écoles. La lutte a porté ses fruits, et la direction régionale de l’éducation a révoqué les dispositions relatives aux cheveux dans les règlements intérieurs d’établissements scolaires. Zulaikha Patel vient de publier son premier ouvrage. Intitulé My Coily Crowny Hair, il célèbre les cheveux afro et l’africanité, et figure parmi les titres les plus vendus dans plusieurs librairies du pays.

Tout comme Aisha, Zulaikha est la preuve que les jeunes sont une force sur laquelle compter. Le fait de doter les enfants des connaissances et des ressources dont ils ont besoin peut constituer un véritable espoir dans les situations les plus terribles.

En 2005, Moses Akatugba attendait les résultats de ses examens de fin d’études secondaires lorsqu’il a été arrêté par l’armée nigériane. Il a reçu une balle dans la main, et il a été battu et accusé d’avoir volé trois téléphones mobiles dans le cadre d’un vol à main armée survenu non loin – une accusation qu’il contestait. Il a subi de graves tortures et a été contraint de signer des « aveux ». Après huit ans passés en prison, il a été condamné à mort par pendaison. Pendant son incarcération, Moses Akatugba a entraîné l’équipe de football de la prison, dans le but de préserver l’espoir de ses codétenus. Des militant·e·s, dont de nombreux jeunes et Amnesty International, ont manifesté en sa faveur devant les ambassades du Nigeria de leurs pays respectifs, et il a été libéré en 2015. En prison, Moses Akatugba a pris conscience de l’importance des droits humains – et a constaté le pouvoir du militantisme. Aujourd’hui âgé de 32 ans, il est étudiant et milite contre la peine de mort.

Zulaikha, Aisha et Moses comptent parmi les jeunes qui montrent que lutter pour ses droits et croire en soi peut changer la société. Dans un contexte où il est prévu qu’augmente encore la part des jeunes dans la population africaine, il est temps d’investir davantage dans la jeunesse, en faisant en sorte que les jeunes soient en mesure de connaître leurs droits et de les faire respecter.

En parallèle, de jeunes militant·e·s déterminés continuent de façonner l’avenir qu’ils appellent de leurs vœux. Qu’il s’agisse de lutter contre la discrimination raciale, le changement climatique et la précarité menstruelle ou de surmonter l’adversité, les jeunes Africain·e·s manifestent leur potentiel et démontrent la force de leur génération. Nous devons les soutenir, et veiller à ce que chaque enfant soit en mesure de faire respecter ses droits.


Angelina Jolie est envoyée spéciale du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Flavia Mwangovya est directrice régionale adjointe du programme Afrique de l’Est d’Amnesty International
. Amnesty International fait campagne pour que les droits des enfants soient une priorité des gouvernements sur tout le continent et dans le monde.